Alicia Bertola, Auvergnate, alterne entre son métier d’éducatrice spécialisée et son
travail de photographe. Deux facettes qui lui permettent de laisser libre cours à sa
fibre sociale. A travers l’art, elle se découvre, et aide les autres à mieux se connaître
et s’aimer.

« Je ne suis qu’une petite personne, qui fait sa petite tambouille », affirme Alicia
Bertola, modeste. Photographe autodidacte en Auvergne depuis cinq ans, elle utilise ses clichés pour raconter des histoires et libérer son inconscient.
Ses autoportraits lui permettent d’affirmer ses différences. Après une gorgée d’un banal Orangina, elle sourit : « J’ai des goûts très éclectiques, tout peut m’intéresser tant que ça raconte quelque chose. » 
La photographie est vite devenue un besoin viscéral pour la brunette. « Je me réveille certains matins avec cette envie impérieuse de créer. Je regarde le temps par la fenêtre, je fourre quelques vêtements dans un sac et je pars faire des photos. »

Arpenter ses mondes imaginaires

Fascinée par les mondes imaginaires, la rêveuse nourrit son esprit depuis sa plus tendre enfance. Absorbée par les illustrations et les dessins animés, elle « adorait Alias et les Totally Spies parce qu’elles se changeaient en fonction des situations ». 
A l’adolescence, curieuse des nombreuses facettes de la vie, elle s’invente ses propres personnages.
« J’avais fait des petits papiers, avec plusieurs styles vestimentaires : gothique, lolita, … Et je piochais dedans tous les matins pour savoir comment j’allais m’habiller », se souvient-elle, en plongeant sa main dans un bocal invisible.
Aujourd’hui, dans son costume de jeune femme élégante, c’est en retouchant ses images que la virtuose de Photoshop donne corps à ses pensées… Et évacue ses traumatismes.
Fumée charbonneuse qui s’échappe dans un cri, yeux blancs aveugles, cou enserré de nombreuses mains… Brouillard, neige, pluie… Les ambiances oniriques retranscrivent sa sensibilité. Une émotivité que l’artiste cache bien. Dans un haussement d’épaule, elle explique : « C’est souvent assez noir… Mais bon, on a tous nos états d’âme. » 
La trentenaire use de son imagination pour dépasser ses problèmes d’identité. Stoïque, elle lâche : « J’ai beaucoup souffert de harcèlement quand j’étais ado. Je me disais sans arrêt que la personne que j’étais ne convenait pas. Je voulais être quelqu’un d’autre. »

Une sensibilité partagée

Alicia publie ses clichés sur les réseaux sociaux, souvent accompagnés de longs textes. Les histoires qu’elle offre poussent sa communauté à se confier, parfois de façon très personnelle. 
« L’interprétation des autres est importante. C’est toujours surprenant de voir que mes pérégrinations appuient l’inconscient d’inconnus ! »

Au fil de ses témoignages, l’auteure est surprise que beaucoup partagent son mal-être. Les yeux écarquillés, elle constate avec regret : « On fait tous face à l’auto-jugement. On doit tous composer avec les injonctions de la société. » Et ces complexes, dûs aux regards extérieurs, sont systématiques. « Maintenant, je commence mes séances photos en disant aux modèles que je leur ferais une pichenette chaque fois qu’ils se déprécient. Si je leur dis rien, les gens ont toujours un regard négatif sur eux-même. Ils n’aiment pas leur nez, leur menton, ont trop de ventre… » Un mal-être commun, décuplé par sa sensibilité.
Un papa ancien cuisinier dans un hôpital psychiatrique et une maman retraitée du secteur de l’aide à la personne, également famille d’accueil, forgent son empathie tout au long de son enfance. La fille unique prend le rôle de grande soeur. « J’aimais leur apprendre des choses, qu’ils se confient à moi. » Sourire triste : « Avec eux, j’ai vu passer des éducateurs très bons, d’autres très mauvais. » Elle se redresse sur sa chaise : « Assez tôt j’ai commencé à me dire que moi, je voulais en être une très bonne. »

Mille façons de s’aimer

Un souhait réalisé depuis sept ans, à temps partiel, auprès d’enfants de 3 à 6 ans.
L’éducatrice spécialisée croise des petits déjà très abîmés par la vie. « Il y a cette fillette qui se dénigre en permanence. Terrorisée par les potentielles moqueries, elle n’ose rien faire et se focalise sur son poids… A six ans, c’est effrayant ! » Alors, pour ses jeunes protégés, Alicia met en place des ateliers photo. Leur apprend à se voir autrement, à travers leurs qualités, leurs centres d’intérêts. En décrivant son projet, ses yeux pétillent.

Pour ses clients, les complexes se transforment en force. Douce poésie.
L’auto-entrepreneuse crée même une formule qui pousse à la réflexion. « Il faut donner du sens aux images que l’on crée ensemble ». Les intéressés remplissent un questionnaire : film préféré, style de musique, bouquin marquant… « C’est pour les inciter à l’introspection. Le costume qu’ils endossent signifie toujours quelque chose. » Derrière son objectif, la timide pousse ses modèles à jouer un rôle. L’interprétation permet de se détacher de ses peurs, tout en restant soi-même. Un exutoire. Comme pour elle, la créatrice utilise l’image pour libérer la parole de ceux qui n’ont pas les mots. Et leur montrer « qu’il y a mille façonsde s‘aimer ».

Forte de son expérience de vie, cette insatiable petite fille qui prenait « la télévision éteinte
en photo », qui « trifouillait tous les boutons » et « bidouillait sur photofiltre » est devenue
une artiste sensible et généreuse. Mais aussi une femme pétillante. « Je me laisse de
l’espace. J’ai envie de faire des milliards de choses, mais j’ai appris à prendre mon temps. A
définir mes priorités. » Et s’il est difficile pour la Clermontoise d’accepter qu’elle « n’aura pas
assez d’une vie pour tout découvrir », à 30 ans, elle trace sa route en veillant à chérir sa
curiosité rêveuse. « Je vais peut-être m’intéresser aux formations de journaliste maintenant,
ça a l’air pas mal pour ceux qui aiment raconter des histoires, comme moi », conclut-elle en
riant.

Delphine Simonneau

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